Entretien avec Christophe Martin

directeur du festival Faits d’hiver et de micadanses-Paris

 

L’édition 2023 marque les 25 ans du festival Faits d’hiver. Parlez-nous de ses débuts et de son évolution.

Le festival est né à l’Etoile du nord dans une formule un peu folle lorsqu’on connaît le théâtre, soit trois spectacles par jour les vendredis et samedis… Au bout de trois années, il a été demandé de déménager, et il a été accueilli au Théâtre du Lierre aujourd’hui détruit. Cela a été l’occasion de créer l’Association pour le développement de la danse à Paris qui gère aussi micadanses maintenant. Très vite, nous avons cherché des partenaires de diffusion différents, plus nombreux, divers dans leur architecture, dans Paris. Le festival a connu ensuite une progression lente mais régulière et solide, jusqu’à aujourd’hui où nous sommes déployés sur trois départements en plus de la capitale, avec au moins cinquante représentations et beaucoup de créations. En 25 ans, nous sommes passés d’un festival local pour les officionados à un festival d’envergure national pour le grand public, alliant exigence artistique et découverte.

 

Que nous dit l’affiche de cette 25e édition sur la personnalité du festival ?

La lecture d’une image est forcément multiple. Je retiens surtout la détermination, la dérision qu’apportent les objets du quotidien, une sorte de tension entre le combat à mener et les courses à faire…

 

Y a-t-il un fil rouge dans votre programmation ? Que va-t-on voir en 2023 ?

Le fil rouge est la cohérence de chaque projet. Avant tout, se concentrer sur l’enjeu artistique, sur le parcours de la compagnie et sur la nécessité de créer cette chorégraphie, maintenant, là.

Ensuite, à l’intérieur du paysage que représente le festival, il est amusant de faire des rapprochements, des familles esthétiques. J’en vois au moins cinq :

  • les jeunes femmes épatantes : Lorena Dozio, Rebecca Journo, Marlène Rostaing, Christine Armanger, Joana Schweizer et Apauline ;
  • les baroques d’expérience : Mossoux-Bonté, Brumachon/Lamarche, Nadia Vadori-Gauthier, Tania Carvalho ;
  • les tenants durs de la composition chorégraphique : Jean-Christophe Boclé, Louis Barreau, Thomas Lebrun, Yvann Alexandre, Myriam Gourfink
  • les sociaux avec humour : Collectif ÈS, Serena Malacco, Ambra Senatore
  • les solos dédiés : Ioannis Mandafounis (Manon Parent), Yaïr Barelli

C’est bien l’ensemble des différences qui génère l’unité et l’équilibre.

 

Pourquoi cette attention portée à la danse et au handicap ?

Pour cette édition, nous accueillons en effet dix représentations en écho avec le handicap. Ce n’est pas un focus, mais une activité que nous menons à l’année à micadanses et qui trouve une expression dans Faits d’hiver. Changer le regard sur les personnes en situation de handicap demande d’abord de créer des occasions de rencontre, ensuite soutenir des projets à haute valeur artistique pour qu’il n’y ait ni gène, ni semblant de bon sentiment obligatoire. Depuis une quinzaine d’années, nous accueillons des projets pédagogiques avec différents types de handicap, et des spectacles de même. Cela fait partie maintenant de notre activité régulière, normale.

 

Qu’y a-t-il au menu de ces 25 ans ?

Le chiffre souligne surtout la solidité de cette formule itinérante, énergique et gourmande. Il m’a semblé plus judicieux de signifier le compagnonnage avec Thomas Lebrun depuis 2002, avec ses huit programmations dans le festival. Il représente une attention, superbe et savante, à la composition chorégraphique qui est une des particularités du festival, tout en s’offrant des moments plus ironiques, populaires, que nous revendiquons aussi tout à fait. Une manière d’être soi simplement sans peur ni prétention.

Cette édition est également intéressante pour des formes de rencontre avec les publics plus diverses : des conférences, du jeune public, des bals… Vingt-cinq ans, c’est une certaine sagesse, non ?

 

Faits d’hiver est devenu un festival de créations repéré…

En effet, nous accueillons seize créations dans cette édition. Une sorte de pari que je trouve excitant plus qu’angoissant. Car le travail d’accompagnement des projets, des artistes est quotidien, la programmation n’est que le résultat d’un cheminement parfois fort long. On se voit, on discute, des résidences sont proposées à micadanses, des productions confortent la faisabilité de la création. Un lieu se dessine pour la recevoir et la première arrive à toute vitesse… C’est un suivi qui connaît un aboutissement partagé. Le festival est là pour accompagner le risque pris par les artistes. Pas le contraire.

 

Quelle est aujourd’hui l’assise territoriale du festival ?

L’assise du festival est clairement posée avec une répartition équilibrée entre Paris intramuros et la petite couronne. Elle est plus subtile quant à la typologie des lieux de diffusion fort variée. Ce qui permet la bonne réception de formes esthétiques elles aussi variées. Chacun des lieux amène sa propre pertinence, son identité, sa localisation et chacun est aussi nécessaire. Le travail est justement de placer un artiste dans le bon théâtre, qu’il soit totalement intégré à la saison, accepté, attendu. La qualité de la relation du festival avec le partenaire de diffusion garantit la qualité de l’accueil, et donc, la qualité de la perception par le public. Discuter sincèrement, accepter ou refuser, faire simple, se projeter parfois dans deux saisons, changer d’avis… bref, être vivant ! Finalement, choisir à deux n’est pas pour moi une contrainte.