Les faits Thomas /l’effet Lebrun

Le festival a reçu pour la première fois Thomas Lebrun en hiver 2002, au théâtre du Lierre, aujourd’hui détruit. Sa pièce d’alors, Go/stop/reverse, convoquait six interprètes féminines pour une construction millimétrée qui évoquait sans fléchir le travail de Lucinda Childs. La même année, au même endroit, Faits d’hiver accueillait entre autres Alban Richard (Sous surveillance) et Marco Berrettini (Sorry, do the tour). Cette quatrième édition témoignait déjà d’une gourmandise esthétique, s’autorisant de défendre autant une composition chorégraphique savante qu’une envie de populaire et de dérision, poussée parfois jusqu’au drame.
En 2003, avec l’inénarrable Foofwa d’Imobilité, Thomas Lebrun développe un duo tonitruant, hilarant, mal poli (Le show). Et certains de commencer à s’inquiéter de cet irrésistible besoin de liberté de ton redoublée d’une inventivité formelle solide. Mais il poursuit coûte que coûte, revenant en 2005 avec La trêve(s), toujours au théâtre du Lierre. Neuf interprètes pour un jeu « télévisuellement » sale et méchant, cocasse, sérieux, bien balancé, coloré… qui se dissout dans une danse tramée abstraite, redevenue la seule préoccupation, au-delà des solitudes et des individus. Manière d’affirmer ce qui le constitue : l’humain et le savant. Sans choix, tout un.
2006, un duo avec Christine Bastin, Même pas seul !, comme un slogan pour ces deux nordistes qui n’hésitent pas à se frotter la couenne sans chichi.
2009, un court solo, Many dreams for exercising waltz, pour la soirée de clôture de la dixième édition – sans anniversaire fêté – avec six lieux de diffusion et 18 spectacles différents. Il faut ensuite attendre 2017 pour revoir Thomas Lebrun créant Les rois de la piste au Carreau du Temple, caricature tendre de personnages traînant dans les boîtes de nuit, ridicules, outranciers, timides, seuls, très seuls. Là encore, la dernière partie du spectacle se transforme en leçon de composition chorégraphique. Botté de noir avec body idem, implacable, il opère un tour de force, redistribuant les gestes de la première partie en une partition somptueuse, le tout se terminant fond de scène sur I’m what I am de Gloria Gaynor, déclaration sans fard sur la condition humaine. Quant à Another look at memory, programmée en 2019, cette pièce offre un travail de dentelles, associant et retraçant des entrelacs gestuels dansés par trois interprètes fétiches. Cette même édition, il organisait la soirée de clôture du festival, Blitz générations, où un vieux danseur invitait un jeune pour un solo respectif et un duo. Manière parfaite d’exprimer ce tropisme de Faits d’hiver de s’intéresser au plus de quarante-cinq ans, interprète ou chorégraphe.
Et donc, 2023, nouveau solo créé à micadanses après les premières à Tours, avec comme interlocutrice Marguerite Duras… L’envahissement de l’être (danser avec Duras). Or, 2023 est la vingt-cinquième édition du festival. Or, Thomas Lebrun est le chorégraphe le plus programmé de son existence. Or, aucune commémoration n’est à l’ordre du jour pour l’anniversaire. Alors, nous nous devons bien de marquer ensemble ce moment.
Main dans la main.
Christophe Martin